Tanbou Bò Kannal : résister pour exister
SYNCOPE N° 12 Mai 2005
TANBOU BO KANNAL 1973 – 2003 :
Tanbou Bò Kannal est en Martinique le groupe-référence pour la musique de carnaval, la musique de rue. C’est aussi une association bien implantée dans son quartier, Bò Kannal, (quartier Rive Droite Levassor), qui ne se contente pas d’exister seulement le temps du carnaval. Avec le Tambour comme élément fédérateur ce » band » à pied a su impulser une nouvelle dynamique et une autre image de ce quartier populaire de Fort-de-France.
Tanbou Bò Kannal (TBK) a fait sa première apparition dans le carnaval en 1973, une époque où peu de Martiniquais se mobilisaient vraiment pour la transmission des traditions populaires. Le quartier Bò Kannal a la chance de compter parmi ses habitants, des anciens qui se sont battus pour que cette transmission se fasse. Particulièrement le chanteur Bélè, Victor Trèffe, qui dès la fin des années 60 avait initié un travail sur les personnages du carnaval tel le » papa djab » (Le roi des Diables). Ces anciens ont aussi transmis des traditions qui sont propres au quartier. Cette forte identité est le fruit des luttes des gens qui y sont installés. En majorité des pêcheurs qui ont dû se battre pour se faire respecter !
Le retour aux racines
Ce contexte a permis à des jeunes qui s’intéressaient à leurs traditions d’apprendre le danmyé (lutte dansée martiniquaise), la danse, le tambour et développer leurs propres activités culturelles. C’est le cas des frères Gerné, Eric et Niko, qui sont des membres fondateurs du groupe TBK. Cette troupe composée de tanbouyés (parfois plus d’une vingtaine), de joueurs de Tibwa (section de bambou frappé avec deux baguettes), de danseuses et d’une section de cuivres a connu le succès dès ses premières sorties. Ce fut une réponse à la commercialisation et l’embourgeoisement du carnaval martiniquais. Une tradition qui était en train de perdre son âme populaire, car les comités organisateurs voulaient en faire une attraction pour touristes. Le succès des tambours de Bò Kannal déborde le quartier, les gens ne voulaient plus » courir le vidé » (défilé rapide au son de la musique) derrière un char sonorisé. Et cette réussite, a depuis fait école, car nombre d’autres groupes du même type ont éclôt.
L’union des générations autour du tambour
Les habitants du quartier Bò Kannal perçoivent positivement ce groupe qui a médiatisé leur lieu de vie. Ils en sont fiers et ils savent que c’est une réussite collective. Les aînés se sont entendus avec les plus jeunes. Pour les jeunes cela a été l’occasion de connaître l’histoire de leur quartier, d’intégrer une autre image de celui-ci. Pour beaucoup, c’est un quartier dangereux. Les gens y ont une réputation de » majò « , de durs, alors qu’en fait il y existe une tradition de résistance aux injustices. Les fondateurs du groupe, s’enorgueillissent d’avoir joué un rôle dans la transmission de cette tradition de résistance et dans la valorisation de l’image du quartier. Autre objectif de la machine TBK, faire connaître la culture martiniquaise lors de ses tournées en Europe, aux Etats-Unis au Brésil et dans toute la Caraïbe. Ces tournées sont aussi mises à profit pour développer les contacts avec d’autres musiciens et les habitants. Nombre de membres de la troupe n’ont pas oublié leur rencontre avec les habitants de Tobago lors d’un festival dans ce haut lieu de Carnaval qu’est Trinidad et Tobago. Autre moment fort dans l’histoire du groupe, celle avec le groupe Wofa de Guinée et un disque réalisé sur le label Buda Records qui concrétise cet échange entre tambours guinéens et martiniquais.
Une approche musicale et sociale
Tout comme les groupes Voukoum en Guadeloupe ou Olodum au Brésil, Tanbou Bò Kannal ne se contente pas de faire de la musique. A l’instar de ses pairs célèbres à Bahia et Basse-Terre, il développe une démarche sociale en direction des habitants du quartier. Avec l’aide de l’esprit de résistance, ils luttent contre des difficultés comme les problèmes de toxicomanie ou de chômage.
Article de Diyo Laban
Voir le DVD “Les 30 ans de Tanbou Bò Kannal “ In extremis Prod. 2004. Réal : Jil Servant