Menwar : l'appel de la Ravanne – Ile Maurice
Syncope n° 5 – Octobre 2004
Sa carrière démarre dans les années 70 avec un groupe de séga engagé. Dix ans plus tard, il engage un inconnu Kaya (1) qui allait créer le Seggae – puis se tourne définitivement vers le tambour local : la Ravanne (2), au point de créer une école et une méthode de jeu.
Né en 1955, il est rompu dès l’enfance à une réalité bien éloignée de l’imagerie idyllique que véhicule son pays. Élevé à Cassis (3) une banlieue pauvre de la capitale, Port-Louis, Menwar ( » Main noire « ) appartient à la communauté créole, terme qui désigne à Maurice les afro-mauriciens descendants des esclaves noirs. Enfant des rues élevé par une maman bonne à tout faire, il fréquente peu l’école mais s’essaye à différents sports et métiers (menuisier, coiffeur, tailleur) qui feront de lui un débrouillard professionnel. Ses premiers contacts avec le chant sont les lieux de culte ( l’église catholique et le temple adventiste ) ou les Coeurs Vaillants, une branche du scoutisme ! A propos de cette enfance, il écrit: » je suis né dans un cagibi. Pour moi c’était joli, même s’il n’était éclairé qu’ à la bougie » ou » soit-disant ils nous ont sortis du ghetto, ils nous ont mis dans l’étau, à chaque tour de vis, on est tous obligés de crier « .
Je suis né dans un cagibi. Pour moi, il était joli, même s’il n’était éclairé qu’à la bougie
Pour autant, il refuse d’être un porte-parole : » seulement une voix qui crie parmi ce peuple » pour qui sa musique doit » faire passer une vibration afin que les gens se sentent bien à l’intérieur d’eux-mêmes « . Ses textes parlent pourtant des maux qui affectent davantage les Créoles que les autres communautés, comme l’enfance démunie ( » Palanguli « ), les suites de l’esclavage ( » Leko Rivyer Nwar « , » Kiltir de Zil « ), la pauvreté ( » Geto « , » Sizann « ). Il laisse entendre ainsi beaucoup de choses par souci d’efficacité face à une censure indirecte. » A Maurice, si tu dis des choses fortes, les politiciens sont vexés, et utilisent plus tard les lois (4) contre toi…alors il faut savoir s’y prendre, ne pas fourbir des armes contre toi « . L’enfant Menwar a donc fait bien du chemin depuis les ruelles de Cassis…
A Maurice, si tu dis des choses fortes, les politiciens sont vexés, et utilisent plus tard les lois contre toi…alors il faut savoir s’y prendre, ne pas fourbir des armes contre toi « .
« Pour apprendre, j’ai demandé à un jeune des Chagos de jouer au ralenti »
Gamin, Il bidouillait ses instruments tel ce premier banjo monté avec une boîte de cirage, un manche en bois et une corde de nylon. Le Séga Ravanne (traditionnel), il l’approchait lors des bals du samedi soir où passée une certaine heure, » les gens sont bien pétés et sortent alors le tambour « . Là, le rhum et la fatigue facilitent la quasi-transe et la rencontre avec Babani, « une sorte d’esprit chamane « . Dans ces conditions, il est aisé d’imaginer pourquoi la bonne société a longtemps considéré le Séga Ravanne comme vulgaire et décadent : une musique de Mozambiques quoi ! Menwar, lui apprendra la Ravanne auprès d’un jeune Chagossien (5) » en lui demandant de jouer au ralenti « . C’était en 1982. Trois ans plus tard, accompagné de son tambour, il part pour La Réunion où Il y restera huit ans, le temps de s’y faire connaître. Puis il séjournera deux ans à Marseille après un rôle tenu dans une comédie musicale (Mokko). Rentrant définitivement à Maurice en 1996, il prend l’initiative de créer une école de Ravanne, ainsi qu’un groupe : Mégaravanne, qui se produira par la suite à La Réunion. En 1998, il sort bien un CD » Pop Lekonomi » mais est escroqué par son producteur ! Qu’importe ! Il parvient à réaliser un livret (34 pages accompagnées d’une K7) enseignant sa méthode pour jouer du tambour local ! En 1999, il quittera l’école qu’il a créée, déçu par ceux qui lui reprochent de l’utiliser pour sa promotion personnelle « depuis mon départ, ils n’ont rien fait ! » lâche t-il avant d’ajouter qu’il » continue à animer des ateliers au Centre Nelson Mandela de Port-Louis « . Depuis 2002, la roue semble tourner dans le bon sens pour lui avec un album bien reçu » Leko La Rivyer Nwar » (Discorama prod.) qui lui vaut d’être à l’affiche de nombreux concerts et tournées comme le festival d’Angoulême cette année.
par Stéphane Delphin
TI FRERE : ROI DU SEGA RAVANNE Ti Frère était l'emblême du Séga Ravanne. Né en 1900, Alphonse Ravaton (de père malgache ) n'a jamais vécu de sa musique qu'il jouait lors de fêtes ou de pique niques.Quatre années avant l'indépendance, en 1964, il est consacré Roi du Séga lors d'un concert qui marque la première reconnaissance de cette culture à Maurice. Fanfan est l’autre grande figure de cette tradition. A écouter : CD Hommage à Ti Frère Ocora CD Fanfan Séga Ravanne Ocora
1/ Icone rasta et inventeur du seggae (mélange reggae-séga) dont la mort en garde à vue déclenchera des émeutes meurtrières. Son producteur était Percy Yp Tong, l’actuel manager de Menwar.
2/ Tambour plat et large recouvert d’une peau de chèvre, accompagné par la maravanne (appellée « Kayamb » à la Réunion, voir Syncope n°2 ) et d’un triangle.
3/ Mélange Reggae-Séga dont KAYA était l’icone rasta retrouvée mort (probablement assassiné) à l’issue d’une garde à vue. Son producteur est Percy Yp Tong , l’actuel tourneur de Menwar.
4/ Le seggaeman Ras Natty Baby est peut-être dans ce cas. Incarcéré depuis plus d’un an, il clame son innocence depuis le premier jour.
5/ Chassés de leurs îles pour installer une base militaire, beaucoup de Chagossiens vivent dans ce quartier à la périphérie de Port-Louis.
Ecouter CD Charlesia Alexis (voisine par ailleurs de Menwar)